Outre qu’ils fournissent des en-cas très appréciés pour leur légèreté et leurs qualités nutritives, les gimbap, ces rouleaux de riz, légumes, viande et autres ingrédients enveloppés dans des feuilles d’algues séchées, font toujours remonter à la mémoire les tendres souvenirs d’enfance des Coréens. Cantonnés jusqu’ici à la cuisine familiale, ils figurent toujours plus au menu des chaînes de restaurants, ce qui conduit les experts culinaires à penser qu’ils représenteront d’ici peu des produits d’exportation à caractère culturel et non plus seulement alimentaire.
Les modestes gimbap réveillent de tendres souvenirs chez tous les Coréens par leurs multiples associations d’ingrédients et d’assaisonnements qu’employaient leurs mamans, mais il s’y ajoute aujourd’hui des préparations plus raffinées aux compositions nouvelles.
Si les spécialités culinaires coréennes témoignent chacune à sa façon de l’histoire du pays, rares sont celles qui égalent les gimbap par l’attachement sentimental qu’elles suscitent chez les Coréens.
Accoutumés à certaines saveurs de gimbap faits maison tout au long de leur enfance, les petits Coréens estiment souvent que « les gimbap de [leur] mère sont les meilleurs ». Épinards agrémentés d’huile de sésame, tranches de racine de bardane et de pâte de poisson sautées à la sauce de soja, légumes variés, riz assaisonné avec quelques gouttes d’huile de sésame et pincées de sel : autant d’ingrédients entrant couramment dans ces préparations familiales qui éveillent toujours la nostalgie au souvenir de temps passés.
Des origines incertaines
Les circonstances de l’apparition des gimbap, dont le nom se compose des vocables gim et bap signifiant respectivement « algues séchées » et « riz », demeurent imprécises. Si certains avancent qu’ils proviennent des norimaki japonais, ces rouleaux de riz farci de poisson cru, concombre, lanières de courge séchée et radis chinois mariné enveloppés de feuilles d’algues, d’autres affirment qu’il s’agit de variantes des bokssam que consommaient déjà les Coréens pendant la seconde moitié du royaume de Joseon (1392-1910).
Des doutes subsistent aussi quant à l’origine de la dénomination « gimbap » elle-même. Dans son numéro du 29 mars 1958, le quotidien Dong-A Ilbo consacrait un article à une recette, dite « chobap », qui semblait décrire une variante des gimbap à base de riz aromatisé au vinaigre, ou cho. Sa préparation consistait à enrouler différents ingrédients tels que poisson, champignons, tofu, épinards et carottes dans une feuille de laitue recouverte d’une couche riz cuit et assaisonné d’un mélange composé de deux tiers d’un verre de vinaigre, de deux cuillerées à soupe de sucre, d’une cuillerée à soupe de sel et d’une cuillerée à soupe de glutamate monosodique (MSG), l’emploi de vinaigre ayant par la suite été retiré de la confection des gimbap.
À une époque très antérieure à l’apparition des gimbap actuels, les Coréens consommaient déjà du riz entouré de feuilles d’algues. Dans un ouvrage de 1849 intitulé Dongguk sesigi, c’est-à-dire « relation des coutumes saisonnières coréennes », il est fait mention des gimssam et bokssam, à savoir de préparations composées de riz garni de divers ingrédients et présenté dans des feuilles de laitue ou des fanes. Enfin, le traité de cuisine Siuijeonseo, qui date de la fin du XVIIIe siècle, évoque la consommation de riz enveloppé de feuilles d’algues carrées que l’on a badigeonnées d’huile et saupoudrées de sel, d’aucuns avançant l’hypothèse que des algues fraîches aient pu être employées.
Quant aux algues appelées gim, elles figurent dans des ouvrages coréens à une époque plus ancienne encore, comme l’attestent deux textes du XVe siècle intitulés Gyeongsangdo jiriji (géographie de la province de Gyeongsang) et Dongguk yeoji seungnam (géographie de la Corée), où il est respectivement précisé qu’elles font l’objet d’une production régionale dans les provinces de Gyeongsang et de Jeolla, mais aussi qu’elles entrent dans l’alimentation de l’une et l’autre.
Abstraction faite de l’origine des gimbap, celle de la culture des gim à des fins alimentaires se situerait en Corée. Une histoire contée depuis près de trois siècles veut qu’une vieille femme d’un village de la province du Gyeongsang du Sud appelé Hadong trouva un morceau de bois couvert d’algues qui flottait dans l’eau de la Seomjin où elle ramassait des coquillages. L’idée lui vint alors de fixer des algues sur des cannes de bambou et d’immerger celles-ci, ce qui aurait marqué le début de la culture de ce végétal en Corée.
Les pêcheurs de la station balnéaire de Tongyeong, anciennement Chungmu, devant emporter en mer des aliments susceptibles de bien se conserver, ils prirent l’habitude de se munir de Chungmu gimbap, ces rouleaux de riz nature agrémenté de kimchi de radis chinois et de petits poulpes assaisonnés qui ont rejoint les principales spécialités culinaires coréennes dès 1950.
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Les Chungmu gimbapC’est dans les années 1950 que les
gimbap allaient peu à peu adopter un mode de préparation spécifiquement coréen, notamment en faisant davantage appel au poisson cru, qui ne représentait pas jusque-là une part importante de l’alimentation coréenne et ne se substituait pas encore à des ingrédients ordinaires tels que les légumes. Afin d’adapter leur saveur aux goûts des Coréens, ils allaient recourir à moins de vinaigre dans leur assaisonnement, puis lui substituer entièrement l’huile de sésame et le sel, voire se limiter à l’emploi de sel de sésame pour mettre en valeur la saveur des ingrédients.
À ce propos, Kim Yun-yeol, dont la mère était marchande de
gimbap à Daegu, dans le quartier de Dalseong-dong, à la fin des années 1940, évoque ses souvenirs : « Maman relevait le riz d’un peu de vinaigre, de sucre et d’huile de sésame et appelait
gimchobap cette préparation dont le goût rappelait celui des
maki japonais. Après la guerre de Corée, elle a ouvert son restaurant de
gimbap et a supprimé le vinaigre de l’assaisonnement pour ne mélanger au riz que le sucre, le sel et l’huile de sésame, mais aussi les cornichons japonais colorés en rose, outre qu’elle ajoutait au tout des carottes, du radis chinois mariné et des lamelles d’œufs ».
Célèbres spécialités régionales de Tongyeong, cette ville de la province du Gyeongsang du Sud, les Chungmu
gimbap tiennent leur nom de l’ancien toponyme de la ville balnéaire de Tongyeong. Aux dires de certains, cette importante recette aurait résulté d’une erreur dans sa confection destinée à un pêcheur, puisque le
kimchi de radis chinois et les petits poulpes qui entraient dans sa composition aux côtés de riz, l’ensemble étant enveloppé dans une feuille d’algues, auraient été exempts d’assaisonnement pour éviter qu’ils ne se gâtent lors des longues sorties en mer. En lieu et place de ces ingrédients, le riz nature aurait été accompagné d’un
kimchi de radis chinois aigre-doux et de petits poulpes assaisonnés. Au fur et à mesure que se répandait ce procédé, les Coréens s’en seraient inspirés dans la cuisine familiale en y apportant certaines innovations, dont le remplacement du
kimchi de radis chinois par des tranches de ce légume ou par l’emploi de calmar et de galettes de poisson relevés de sauce piquante de préférence aux petits poulpes assaisonnés.
Créée en 1995, la chaîne de restaurants Gimbap Cheonguk a fortement contribué à la diffusion commerciale des gimbap en proposant ceux-ci pour la modique somme de mille wons l’unité avec un succès immédiat, cet en-cas incontournable figurant aujourd’hui à tous les menus.
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Un aliment spécifiquement coréen
Aujourd’hui affranchis de leurs origines japonaises, les gimbap ont fait leur entrée en bonne et due forme dans la cuisine coréenne où, sous leur forme la plus courante, ils consistent en riz assaisonné d’huile de sésame et de sel prenant place sur une feuille d’algues séchées aux côtés de lamelles de radis chinois mariné, de lanières d’œuf frit, de morceaux de carottes, de racine de bardane, de jambon, d’épinards et de concombre, la réalisation du rouleau intervenant ensuite. Il s’agit bien évidemment des grandes lignes d’une préparation dont les éléments constitutifs peuvent varier d’une famille à l’autre selon les goûts et la disponibilité des ingrédients. Évocateurs des paniers-repas et pique-niques que préparaient autrefois les mamans, les gimbap faisaient dire plaisamment à certains qu’il en existait d’autant de saveurs différentes qu’il y avait de familles en Corée, car leur recette variait en fonction des ingrédients préférés de chacun.
Des recettes toujours plus variées
L’apparition des gimbap dans les grandes chaînes de restaurants date de l’année 1995, qui a vu la création dans la ville d’Incheon d’un établissement appelé Gimbap Cheonguk, c’est-à-dire « le paradis des gimbap », lequel allait rapidement connaître le succès et donner lieu à la création d’une franchise coréenne cinq ans plus tard. Tout à la fois copieux et d’un prix modique, ses « gimbap à 1 000 wons » fournissaient un petit déjeuner nutritif qui convenait parfaitement aux employés de bureau disposant de peu de temps pour manger. Par un effet d’entraînement, ils allaient conquérir toujours plus de consommateurs et faire leur entrée au menu de nombreux restaurants.
Par la suite, de nouvelles préparations de haut de gamme allaient susciter un temps l’engouement grâce à d’originales garnitures à base de sauté de porc épicé, de bulgogi, de filet de porc, d’anchois frits, de thon à la mayonnaise, de crevettes frites ou de calmar râpé et assaisonné. Certains restaurants spécialisés allaient aussi innover en proposant des variantes comportant des ingrédients riches en protéines tels que le blanc de poulet. Répondant aux exigences des végétaliens, dont le nombre ne cesse de croître, ou tout simplement des personnes soucieuses de leur santé qui préfèrent éviter la viande, des recettes exclusivement composées de chardon assaisonné, le gondre namul, de fanes de radis, de légumes marinés ou de carottes se sont également répandues.
À la lecture des menus de restaurants de gimbap établis de longue date, car réputés grâce au bouche à oreille, on constate aussitôt que se manifestent d’importantes différences correspondant à des particularités régionales. Dans la province du Jeolla du Nord, l’Oseonmo Yennal Gimbap de Jeonju doit ainsi son succès à une spécialité farcie de carottes, tandis qu’à Gyeongju, une ville de la province du Gyeongsang du Nord, le Gyori Gimbap propose une préparation particulièrement appréciée aux lanières d’œuf frit, lesquelles représentent 90 % de tous les ingrédients. De même, le restaurant Owolui Gimbap, dont le nom signifie littéralement « gimbap de mai » et qui se situe près de la station de métro Nakseongdae de Séoul vend des gimbap géants qui contiennent aussi plus de 90 % de lanières d’œufs frits. De son côté, le Dongwon Bunsik de Busan se distingue par une préparation délectable et des plus originales, car garnie d’épaisses tranches d’une omelette de style coréen dite dalgyalmari et de fines lanières de calmar râpé et épicé que l’on a au préalable fait à demi sécher et sauter dans du concentré de piment. Certains établissements de l’île de Jeju confectionnent quant à eux des rouleaux de gimbap renfermant un balaou entier et, si l’effet produit est assez surprenant sur le plan visuel, l’alliance des saveurs du poisson grillé et du riz n’en est pas moins gage de plaisir. Ultime spécialité, et non des moindres, les gimbap à la poitrine de porc grillée font invariablement les délices des gourmets coréens.
Préparations culinaires éveillant toujours de tendres souvenirs, les gimbap se déclinent aujourd’hui en d’innombrables recettes mettant en œuvre des ingrédients toujours plus variés. Ces constantes évolutions amènent critiques et experts culinaires coréens à y voir des produits d’exportation prometteurs qui s’ajouteront bientôt à ceux qui composent désormais la « K-food », d’autant que leur consommation croissante est favorisée par leur présence dans des séries à succès telles qu’ Extraordinary Attorney Woo. Comment ne pas imaginer alors qu’ils puissent un jour égaler en notoriété des spécialités étrangères telles que la tortilla, le hot-dog, la pizza ou le bratwurst ?
Hwang Hae-wonRédactrice en chef de Food Service Management
Choi Su-jinIllustratrice